La Femme
PRÉFACE
La femme, se dira-t-on (si toutefois on jette un coup d'œil sur cet ouvrage), que nous promet ce
titre? L'auteur veut-il nous peindre une esclave révoltée qui jette un cri de Spartacus
ou de Saint-Simonienne? Dieu me préserve de ces idées révolutionnaires ; je ne
suis pas de celles qui font de leur écharpe un drapeau. J'ai hâte de prévenir
ceux qui voudront bien me lire que je n'ai pas à me reprocher le moindre hémistiche
saint-simonien, et que dans aucune page je n'entonne la Marseillaise.
Sans demander pour la femme plus de place au soleil, j'ai cherché tout simplement le
bien qu'elle peut faire dans la société actuelle. Elle a peu de pouvoir, me dira-t-on,
malgré sa royauté de salon: c'est une pauvre reine constitutionnelle qui
règne et ne gouverne pas. J'ai tâché de prouver que son influence, toute
basée sur les affections, est plus grande qu'on ne se l'imagine : amante, épouse
ou mère, elle aime, elle est aimée, voilà sa force. Elle a pour mission
d'adoucir, de purifier, et, en quelque sorte, de spiritualiser ce monde que l'homme dirige,
fait mouvoir, rend plus puissant et plus riche.
L'homme représente la force, le travail, l'activité ; il passe sa vie au
dehors, chargé du fardeau des affaires; tous ces soins, qui sans doute agrandissent son
intelligence, le ramènent pourtant aux choses réelles et matérielles. On
pourra m'opposer, il est vrai, les poëtes, les artistes, les penseurs aussi n'entends-je
parler ici que de l'immense majorité des hommes affairés et des spéculateurs :
ils n'ont pas le temps d'être poétiques, ils n'ont pas le temps d'être religieux;
l'action remplace le rêve.
La femme reste au foyer, et toute l'activité qu'on voudrait comprimer en elle se reporte
sur son âme: ses affections, voilà ses événements; la hausse ou la baisse
pour elle, c'est le sourire ou la souffrance de son enfant. Ses pensées les plus caressées,
ce sont de poétiques rêveries ou des élans vers l'infini : c'est une grande voyageuse
qui part tous les jours pour le pays des rêves. Ses distinctions, elle ne les demande pas aux
affaires positives, aux sciences exactes ; mais son esprit impressionnable et exalté l'entraîne
vers les arts, ces portes d'un monde idéal : elle dispute aux hommes le clavier, la palette;
elle saisit le pinceau comme un sceptre pour lequel il n'est pas de loi salique. C'est avec son
père ou ses professeurs que l'enfant étudie le grec et le latin, c'est avec sa mère
qu'il apprend la prière, cette langue du ciel que les femmes enseignent. Tout le bien-être
matériel, toutes les grandes découvertes de la science et de l'industrie viennent de l'homme:
mais les chastes et douces vertus, l'amour pur et l'influence poétique et religieuse viennent
presque toujours de la femme.
Dans un précédent recueil de poésies (Enfantines), je n'écrivais
que pour les mères; ici je m'adresse à toutes les femmes; j'ai continué ma tâche
en la développant: peut-être est-elle trop vaste? il faudrait un meilleur peintre pour cette
grande toile aux mille nuances. J'ai d'abord représenté la femme dans ses différentes
conditions : la Femme du monde au salon, la Comédienne au théâtre, combattant
à coups d'éventail les ridicules, les travers et l'esprit positif du siécle;
la Paysanne dans les champs, donnant au laboureur une foi naïve, et lui disant de joindre
quelquefois ses deux grosses mains qui sèment le blé, pour prier celui qui le fait mûrir;
la Femme artiste, la Grisette, la Sœur de Charité, etc. Puis sont venus les âges
et les devoirs divers: j'ai retracé d'autres modèles, depuis les Jeunes Mères
donnant à leurs fils ces nobles élans qui parfois ont fait les grands hommes, jusqu'à
la Vieille Fille, pauvre abandonnée, retrouvant, comme deux amours divins, la croyance et la
charité. J'ai peint la femme, non comme une divinité, comme une fleur tombée de la
corbeille du madrigal, je ne connais pas de divinités, et les fleurs de madrigaux sont
fanées ; j'ai voulu reproduire avec franchise ses qualités, ses défauts, ses souffrances,
et j'ai cherché comment elle pourrait devenir plus parfaite et plus heureuse.
Mais il m'a semblé que la mission la plus belle et la plus sainte de la femme, c'est de
venir panser et guérir les grandes plaies de la société, et nous en comptons de
plus tristes et de plus cruelles que celles de l'Égypte. J'ai tâché d'en esquisser
quelques-unes : le Duel, le Doute, le Vol, l'Émeute, l'Esclavage
des nègres et l'Argent, ou plutôt l'agiotage. J'ai montré la femme combattant ces
tristes fléaux, sans autres armes que l'amour et les affections. Essuyer le sang et les pleurs,
réprimer le vice, briser les chaînes, détruire l'esprit mercantile pour ramener
à la poésie, voilà la véritable réforme à laquelle elle doit
arriver, mais sans bouleversement et sans cris de liberté : avec ses affections d'épouse
et de mère, avec son influence de femme du monde, elle peut soulever la société, et
le levier prendra son point d'appui dans le foyer de famille et dans le salon.