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La Femme

LA FEMME ARTISTE


O mes sœurs, ils ont dit : « La femme doit briller
Par ses yeux, ses rubans, son éclat printanier;
Mais l'encre ou la couleur souilleraient notre Armide. »
Ils l'ont cloîtrée alors dans l'oisive beauté,
Comme une pauvre reine, au front diamanté,
Qu'on emprisonnerait dans un palais splendide.

Mais jeunesse et beauté s'échappent de la main ;
C'est un bouquet de fleurs que l'on jette en chemin
Mon Dieu, laissons siffler les merles !
Des colliers, des écrins laissent en vérité !
On veut nous enfermer dans la frivolité,
Mais brisons nos chaînes de perles.

Leur idole est un être oisif, capricieux,
Et songe à les tromper dans ses jours paresseux ;
Il faut un rêve, un but à la pensée en flamme.
La muse à l'aile blanche est un ange gardien,
Et le travail sauveur, ce don magicien,
Est le bouclier d'or qui protège la femme.

Les arts sont vers les cieux des voyages charmants
Qui font gravir l'espace en chars de diamants :
Aux séraphins, ces grands artistes,
Le chanteur va voler des notes ; Raphaël
A vu poser la Vierge, et des cités du ciel
Les poëtes sont les touristes.

Nous n'avons qu'un seul coin de gloire et de bonheur.
Les hommes ont pour eux le pouvoir, la grandeur,
Les tribunes, les croix et les hochets qu'on vante ;
Ils montent à l'assaut des honneurs : voyez-les
Escalader parfois jusqu'aux murs des palais,
Avec l'ambition, cette échelle puissante !

Qu'ils conservent, mon Dieu, tous leurs mâles joyaux !
Mais gardons nos claviers, nos plumes, nos pinceaux.
L'âme est un oiseau de passage
Qui veut agir toujours, et qui, d'un vol léger,
Jusque dans sa prison cherchant à voyager,
S'élance et tourne dans sa cage.

A vous, sœurs, la palette au sublime chaos ;
Qu'il en sorte le jour, et la terre, et les flots ;
Posez l'étoile au ciel, l'éclair dans la prunelle,
Dans le drame encadré glissez la passion ;
Que la lumière soit, que l'inspiration
Allume le soleil avec une étincelle !

A vous, sœurs, le clavier : du fond de l'instrument,
Que votre âme en prison, comme un sylphe charmant,
Chante en notes cristallisées,
Ou bien s'épanouisse en un folâtre jeu,
En sons vifs et brillants, comme un bouquet de feu
Qui dans l'air éclate en fusées.

A nous la poésie, et le rêve adoré
Qui voltige dans l'air, et qu'on prend par le pré
Comme un fil de la Vierge. Aux pieds de Dieu qu'elle aime,
Elle porte nos cœurs pleins comme l'encensoir,
Et, quand le monde attriste, il est doux de l'avoir
Comme un escalier d'or qui mène au Dieu suprême.

Muse aux regards de feu, ne va pas t'échapper !
Mais dans des voiles blancs laisse-nous te draper ;
Chaste, fuis tout chemin indigne :
De tes pas cadencés ne touche qu'un beau sol ;
Vers la gloire parfois tu peux prendre ton vol,
Mais avec des ailes de cygne.

Laisse tomber le vers pur, limpide, idéal,
Et qu'il ne soit jamais obscène ou trivial.
L'art est-il ruiné, dis-moi, douce compagne,
Pour changer ses brillants contre un haillon sali ?
L'art, suberbe empereur, est-il donc avili,
Pour que sa pourpre soit l'habit rouge du bagne ?

Chantons, et jetons notre miel
A l'âme qui souffre et qui doute ;
Prenons au temple, sous la voûte,
Des fleurs aux vases de l'autel.

Que la strophe soit éclairée
Par la foi, cet astre éternel ;
Que notre lampe, humble ou dorée,
Ne s'allume qu'au feu du ciel.

Oh ! chantons pour la fille d'Ève,
Fragile, oubliant la vertu :
Réveillons-la d'un fatal rêve,
Relevons le lis abattu !

Disons-lui : le devoir sublime
Rend seul le front joyeux et fier ;
Le bonheur n'est pas dans l'abîme
Comme la perle est dans la mer.

Chantons pour le captif dans l'ombre :
La poésie, à son réveil,
Peut traverser sa grille sombre
Avec l'espoir et le soleil.

C'est son rayon, son hirondelle,
Qui lui fait rêver prés et fleurs.
Qu'elle vienne du bout de l'aile
En chantant essuyer ses pleurs.

Que nos vers, tombant dans les âmes,
Au riche montrent l'indigent,
Et dans le tronc du pauvre, ô femmes,
Fassent tomber un peu d'argent.

Poésie, ô belle chanteuse,
Tu diras : Donnez, s'il vous plaît !
Et, sans connaître la quêteuse,
Les pauvres auront le bienfait.

Portons le calme à la souffrance,
La croyance au cœur attristé,
A tous le baume et l'espérance ;
Soyons les sœurs de charité.

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