J. Barbey d'Aurevilly
Émile Caro
Théophile Gautier
Pierre Martino
Sully Prudhomme


J. Barbey d'Aurevilly

Ces poésies sont belles à faire peur, comme disait Bossuet de l'esprit de Fénelon. Ce sont à coup sûr les plus belles horreurs littéraires qu'on ait écrites depuis les Fleurs du Mal de Baudelaire. Et même c'est plus beau, car dans le mal -- le mal absolu -- c'est plus pur. Les poésies célèbres de Baudelaire ne sont que l'expression des sens révoltés qui se tordent dans l'épuisement et la fureur de leur impuissance, serpents de Laocoon qui n'ont plus à étreindre que le fumier sur lequel ils meurent. Mais les poésies de Mme Ackermann sont le chaste désespoir de l'esprit seul. Ses blasphèmes, à elle, n'ont pas la virulence des Blasphèmes de Baudelaire. Ils sont taillés dans un marbre radieux de blancheur idéale, avec une vigueur et une sûreté de mains qui indiquent que l'artiste, ici, est son propre maître, et sans excuse, comme Lucifer, qui ne tomba, que parce qu'il voulut tomber. Transposition singulière quand on les compare. C'est l'homme, ici, qui a chanté comme aurait pu chanter la femme, et la femme, comme l'homme n'a pas chanté.

Les Poètes et les hommes (1889)


Émile Caro

Au moins dans la forme d'un sentiment, sinon d'une doctrine cette philosophie de désespoir a troublé dans ces dernières années plus d'une âme qui a cru se reconnaître dans l'accent amer, hautain d'un poète de grand talent, l'auteur des Poésies philosophiques. Si l'on voulait démêler l'inspiration qui fait l'unité de ces poèmes étranges et passionnés, on ne se tromperait guère en les cherchant dans la conception de l'Infelicita. C'est un Léopardi français égalant presque l'autre par la vigueur oratoire et le mouvement lyrique.

Le Pessimisme au XIXe siècle (1878)


Théophile Gautier

C'est une note qu'on n'est plus habitué à entendre et qui nous cause une surprise pleine de charme. Mais si, par quelques formes de son style, Mme Ackermann se rapproche du XVII siècle, elle est bien du nôtre par le sentiment qui respire dans les pièces où elle parle en son propre nom. Elle appartient à cette école des grands Chateaubriand, Lord Bryon, Shelley, Léopardi, à ces génies éternellement tristes et souffrants du mal de livre qui ont pris pour inspiration la mélancolie.

Rapport sur le progrès des lettres par MM. Silvestre de Sacy, Paul Féval, Th. Gautier et E. Thierry (1868)


Pierre Martino

C'est une grande souffrance--la mort d'un mari aimé--qui persuada Mme Ackermann qu'elle était vraiment poète. Elle était déjà préparée par sa culture, très philosophique, point du tout idéaliste, à penser que la vie était mauvaise ; ce deuil lui donna définitivement le goût du néant. Elle se jeta passionnément dans la lecture des livres qui pouvaient consolider cette sereine désespérance : Pascal, qui lui fut un maître de scepticisme, Hegel, Spinoza, Kant, Schopenhauer, Berthelot, Littré, etc. Tantôt elle inclinait au panthéisme, tantôt elle était une pure positiviste ; elle s'exaltait contre le christianisme . . . on n'oublie pas quelques-uns de ses vers, martelés en de dures formules.

Parnasse et symbolisme (1967)


Sully Prudhomme

Ses qualités sont précisément celles qu'on rencontre le plus rarement chez les écrivains de son sexe: la vigueur de la pensée et l'éloquence de l'expression. Ses cris sont tout virils, le soupir élégiaque, si fréquent dans la poésie féminine, ne l'est point dans la sienne. . . . . Mme Ackermann a trouvé en poésie des accents qui lui sont propres pour exprimer le dernier élan de l'âme humaine aux prises avec l'inconnu: c'est là le caractère éminent de son œuvre. Les sujets qu'elle excelle à traiter, tirés du problème de la condition de l'homme sont d'un intérêt supérieur et permanent.

Anthologie des poètes français du XIXe siècle (1887-1888)

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