Rêves et Réalités

MADELEINE.

Avec sa joie, avec sa peine,
Avec ses chants et ses soupirs,
Voici ma tendre Madeleine,
Le plus cher de mes souvenirs.
Reliez dans votre mémoire
Ces manuscrits que j'ai trouvés,
Et vous aurez sa fraîche histoire
Dans ces fragments inachevés.

I

Oh! oui, je serai là, toujours active et tendre,
Souffrant de tes douleurs et souriant pour toi !
Tes plus muets soupirs, je saurai les entendre :
Ce qu'éprouve ton cœur a son écho dans moi !
Plus de chants! je veux vivre attachée à ta peine ;
La brise effleure en vain mon front jeune et rêveur :
Je veux être à tes pieds l'aimante Madeleine,
La Madeleine du Sauveur !

Mon âme t'est connue, et tu sais qu'elle est forte !
Comme elle sait t'aimer, elle saurait souffrir !
Laisse donc tes fardeaux pour que mon cœur les porte,
Laisse-moi tes chagrins dont je veux me nourrir !
De précoces regrets mon enfance fut pleine ;
En m'oubliant pour toi j'ai trouvé le bonheur :
Je veux être à tes pieds l'aimante Madeleine
La Madeleine du Sauveur !

Tout ce dont le cœur bat, religion, génie,
Ce qui fait le regard perdu dans le ciel bleu,
Tout ce qui grandit l'âme à l'idéal unie,
Sagesse, extase, gloire, amour pur dit à Dieu !
Ce qui donne à nos fronts une fierté soudaine,
Tout rêve se résume au rêve de mon cœur :
Je veux être à tes pieds l'aimante Madeleine,
La Madeleine du Sauveur !

Que le ciel resplendisse et que l'onde murmure,
Mon hymne désormais sera mon dévoûment !
Je ne verrai plus rien dans l'immense nature
Que ton œil assombri d'un incessant tourment.
Liée à tes destins, que ta tombe me prenne !
Pourquoi vivre? à quoi bon, sans but consolateur !
Je veux être à tes pieds l'aimante Madeleine,
La Madeleine du Sauveur !

II

Je croyais autrefois que je pouvais t'aimer,
T'aimer sans ton amour, t'aimer sans te le dire ;
Je croyais que te voir aurait pu me suffire ;
C'était là mon seul vœu : te voir ou te nommer !

Je recueillais les mots de ton indifférence,
Et j'y rêvais tranquille, insoucieuse enfant !
Ah! pourquoi n'ai-je plus la candide ignorance
Qui nous laisse au bonheur dont rien ne nous défend !

Je ne rougissais pas quand d'ardentes paroles
Trahissaient d'autres cœurs les sentiments pour toi ;
Je t'aurais répété ces douloureux symboles,
Heureuse de t'en voir heureuse auprès de moi !

Maintenant tout a fui ; je sais trop mon angoisse...
Lorsqu'une autre te parle, un doute étreint mon cœur ;
Je ne crois plus alors qu'à tout ce qui me froisse,
Je crois à mon amour, je crois à ma douleur !

Une larme toujours au bord de ma paupière,
Dans ma tremblante voix un déchirant regret,
Mon front penché, mon front que je portais si fière,
Tout, dans ma sombre peine, oh! tout te l'apprendrait !

Dédaigneux de l'hommage et dédaigneux de l'homme,
Dieu reçoit tous nos vœux : comme un Dieu je t'aimais !
Mais ce n'est plus assez qu'absent mon cœur te nomme,
Te voir indifférent c'est trop peu désormais !

Que dis-je ? c'est assez pour clore enfin ma vie !
Ah! pourquoi de mes maux voiler la profondeur ?
Alors qu'un mot de toi faisait ma seule envie,
Je n'avais pas encor gémi sur ta froideur.

Qu'ai-je donc arraché du secret de mon âme ?
Taisez-vous, vains sanglots! mourez, élans de feu !
Qu'en votre sein, Dieu bon! périsse mon aveu !
J'aimerai comme un ange et non comme une femme !

III

Va! tu peux dans la vie affronter les tristesses !
Tu portes sur ton cœur un talisman sacré.
Parmi tant de rivaux qui briguaient mes tendresses,
Seul tu fus adoré !

Le bonheur, a-t-on dit, donne une paix profonde,
Une sérénité qui défierait la mort.
Va donc, joyeux et fier, le front haut dans le monde,
Et bénissant ton sort !

Le souvenir divin d'un amour ineffable
Est un riant soleil dont l'homme est caressé,
Et qui fait sur ses jours de peine inévitable
Rayonner le passé.

Ah! que j'eusse donné de mes jours de tourmente,
De mes biens, si les biens fussent montés à moi,
Pour être un seul moment parmi ma vie errante,
Aimée ainsi que toi !

IV

Ma fierté s'abusait : j'avais cru qu'offensée,
Mon dédain deviendrait semblable à ton dédain ;
L'indifférence enfin dégageait ma pensée,
Ma bouche était riante et mon regard serein.

Comme d'un sein ouvert la main arrche une arme,
Le remords déchirait mon cœur pour le guérir ;
J'en avais arraché ton nom, sans une larme !
Sans pressentir qu'un jour il m'en faudrait mourir.

Mais le calme est menteur lorsque l'âme est profonde,
Le sentiment survit au courage envolé :
Bientôt s'éteint l'espoir que l'illusion fonde,
On s'écoute souffrir, plus seul, plus désolé.

Notre vie est liée au secret qui l'épure :
Quiconque se croit fort n'est que présomptueux.
Le souvenir renaît et rouvre la blessure
Dans mon cœur épuisée d'efforts infructueux.

Ah! puisque je n'ai pu déraciner ma peine,
Et puisque mon regret sanglote encore en moi,
Je souris à ce mal qui vers toi me ramène,
Je chéris ma douleur, qui me parle de toi !

Que pourrait ton dédain et que pourrait le monde ?
Tout noble sentiment est émané des cieux.
Il n'est qu'un but sacré dans mon cœur que Dieu sonde :
Désintéressement et dévoûment pieux.

Je t'aime pour t'aimer et non pour que tu m'aimes !
T'ai-je jamais parlé de mon déchirement ?
J'ai su trouver en moi deux ressources suprêmes :
L'amour du sacrifice et de l'isolement.

V

Ne me regarde pas ainsi : j'ai peur, hélas !
J'ai peur de trop penser à toi dans le silence ;
J'ai peur de trop souffrir un jour de ton absence ;
J'ai peur..... j'ai peur de moi : ne me regarde pas !

VI

Pourquoi t'ai-je connu? pourquoi ma route sombre
S'est-elle illuminée un jour de ton regard ?
Pourquoi n'ai-je pas fui ce mirage où je sombre ?...
Je le pouvais hier : aujourd'hui c'est trop tard !

VII

Oh! laissez-moi toujours vous dévoiler mon âme,
Oh! laissez-moi toujours vous parler comme à Dieu !
A vous les chants rêveurs et les élans de flamme
De ma pensée en feu !

A vous mon cœur ardent, vieux avant les années,
Cœur abattu, mais fier, où vous lirez des pleurs !
Il veut, lui qui rêvait les hautes destinées,
Une tombe et des fleurs.

Pourtant il vibre encore au grand mot de génie !
Etude, art, dévoûment, patrie, et toi, vertu !
Tu fais encor divins mes rêves d'insomnie,
Mon regret est vaincu !

Ce qu'en moi Dieu fit noble existe-t-il encore ?
O cieux éblouissants, ô montagnes, ô mer,
Vous saurez donc un jour le feu qui me dévore
Sous mon précoce hiver !

Ces enivrants transports m'ont fait braver la haine ;
Ils donnent de la force auc cœurs calomniés.
Pourtant ils ne sauraient triompher de ma peine
Si vous m'abandonniez !

Si vous n'entendiez plus la voix de ma prière,
Mon front pur dans mes mains comme un front dégradé,
Je dirais à mon Dieu : Rends mon corps à la terre,
Mon calice est vidé !

Oh! laissez-moi toujours vous dévoiler mon âme,
Oh! laissez-moi toujours vous parler comme à Dieu !
A vous mes chants ailés, à vous mon cœur de femme
Et ma pensée en feu !

VIII

Aux arbres que le vent secoue,
Au flot qui roule en murmurant,
Aux monts élevés où se joue
Le reflet du jour expirant ;
A la lune, à la blanche étoile,
A la fleur sur le vert gazon,
Que le ciel rayonne ou se voile,
Je dis son nom !

A ceux qu'un poids divin oppresse,
Altérés du bonheur de tous,
Qu'au matin l'on flatte, on caresse,
Qu'au soir l'on destine aux verroux;
A ceux-là, pauvres fous sublimes,
Qui n'encensent que la raison,
Du génie illustres victimes,
Je dis son nom !

Oh! surtout aux fronts pleins d'extase,
Oh! surtout aux cœurs pleins d'amour,
A ceux qu'un feu secret embrase
Et que blesse l'éclat du jour ;
A ceux qui n'ont plus d'espérance
Et qui, brisés, disent : Pardon !
A la Prière, à la Souffrance,
Je dis son nom !

IX

Tu m'as demandé de l'amour,
Pour ton âme tu veux mon âme,
Comme il faut au déclin du jour
Un long et doux rayon de flamme !
Tu veux comme un ami vainqueur
Et mes larmes et mon sourire :
Toi qui sans cesse oses le dire,
Mon cœur est donc cher à ton cœur ?

Il est donc vrai que ma parole,
Tendre et toujours pleine de pleurs,
Possède un charme qui console
Le lourd secret de tes douleurs !
Il est donc vrai que dans la mienne
Ta main tressaille, et que tu veux
Qu'à genoux je lise en tes yeux
Des aveux dont je me souvienne !

X

Va! ne te souviens plus, je te rends tes promesses !
Jamais plus ici-bas nous ne nous reverrons :
Ton cœur s'est repenti de son rêve d'ivresses ;
Il a brisé l'image où se liaient deux noms.

Ce n'était pas l'amour ! Jamais plus en silence
Nos regards ne diront le mot qui les charmait ;
Le réveil a dicté ton éternelle absence ;
Ton âme a renié l'autre âme qui t'aimait.

Ce n'était pas l'amour ! Jamais plus enlacées
Nos mains ne s'uniront pour se parler tout bas ;
Jamais plus ne luiront à travers tes pensées
Les souvenirs d'un jour qu'ont refoulés tes pas.

Le réveil te soit doux, moi, j'aimais mieux le songe !
Le bonheur dans l'oubli, pour moi c'est le regret ;
Et je garde en mon cœur le douloureux mensonge
Où vit toute ma vie au fond de mon secret !

XI

Puisque tu n'en veux pas de cette âme qui t'aime,
Laisse-la se fermer pour ne plus se rouvrir ;
Laisse-la dans son ombre et dans son deuil suprême,
Achever de mourir !

Oh ! qu'elle avait pourtant d'austères confidences
A verser dans le cœur qu'elle s'était élu !
Et qu'il eût été pur ce secret de souffrances
Dont tu n'as pas voulu !

C'est bien : parmi le monde il est bien d'autres femmes,
Il est bien d'autres cœurs du dévoûment épris !
D'autres brillants regards se renverront leurs flammes
Et seront mieux compris !

Qu'importe s'il te manque un écho de toi-même,
A travers ce tumulte et ces plaisirs fiévreux !
Puisque tu n'en veux pas de cette âme qui t'aime,
Oublie, et sois heureux !

XII

Je ne veux plus aimer : l'amour a trop de larmes !
Mais pourquoi donc ce rêve et ce long souvenir ?
Pourquoi donc tristement resonger avec charmes
A ce doux entretien qui n'eût pas dû finir !

XIII

Qui? moi! ne plus t'aimer! moi! n'être plus tremblante,
Ne plus devenir pâle en t'entendant nommer !
Ne plus sentir le trouble en mon âme brûlante !
Moi! qu'ont-ils dit, mon Dieu ! puis-je ne plus t'aimer !

Puis-je de ma pensée arracher ton image ?
Avant de t'oublier j'aurais oublié Dieu !
Ton nom, c'est ma piété, c'est l'immortel langage
Qui monte de mon cœur jusqu'aux sphères de feu.

Parce que la fierté m'a faite impénétrable,
Ceux qui raillaient d'abord se sont trompés sur moi ;
Toi seul as le secret de mon rêve ineffable :
Quand le monde me croit à lui, je suis à toi !

Oh! la souffrance à deux, le dédain de la foule,
Les longs soupirs du cœur dans un autre entendus !
Oh! l'infini divin qui dans nous se déroule,
Quand tout horizon manque aux regards éperdus !

Quand l'âme ne vit plus que dans l'âme adorée,
Quand tout bruit d'ici-bas en vain frappe nos sens,
Que nous croyons saisir la vision sacrée
Que poursuivaient jadis nos efforts impuissants !

J'ai fait depuis longtemps mes adieux à la terre ;
Pourquoi de ces rumeurs me poursuivre toujours ?
Importuns que j'ai fuis, laissez-moi solitaire,
Et ne mesurez pas mon culte à vos amours.

Ce monde qui s'étonne et qui nous calomnie,
Croit-il que je renonce à ce qu'il ne sent pas ?
Que mon cœur, débordant d'une ivresse infinie,
Peut renverser la coupe ou peut s'en montrer las ?

O flots grondants de l'âme, ô céleste mystère,
Vestige de grandeur, de l'Eden emporté !
Divin bonheur d'aimer, seul bonheur de la terre,
Gage et pressentiment de notre éternité !

Tu n'as pas un regret, rien qui ne m'appartienne,
Ta vie avec ma vie est liée à jamais ;
Tes tourments sont les miens, ta souffrance est la mienne :
J'ai mérité ce droit que seul je réclamais.

Oui, le droit de souffrir lorsque ton âme souffre,
Et de revendiquer l'infortune pour moi !
Lorsque ta jeune vie était belle et sans gouffre,
Je ne demandais pas d'être heureuse avec toi.

Mais, quand l'heure a sonné, j'ai voulu te comprendre :
Pour panser ta douleur, j'ai fait douce ma main ;
Où tu devais passer j'ai couru pour répandre
Les parfums de mon cœur tout le long du chemin.

Oh! moi! ne plus t'aimer! qui donc a pu le dire ?
Rien n'est beau, rien n'est bon pour mon âme sans toi,
Et pour que je sourie il me faut ton sourire !
Quoi! vivre pour moi seule! oh! ne plus t'aimer, moi!

Il pleut de ton regard dans le mien tant de flamme,
Ton cœur a pour mon cœur tant de secrets divins,
Que j'écoute chanter le bonheur en mon âme,
Comme on écoute aux cieux l'hymne des séraphins.

Le jour où d'autres noms, brillants fleurons du monde,
Rendraient, fascinateurs, mes vœux irrésolus,
Qu'on apprête à l'écart une tombe profonde :
Mon cœur serait éteint si je ne t'aimais plus !

XIV

Le saura-t-il jamais tout ce que dans mon âme
S'est étouffé de pleurs, refoulé de sanglots ?
Sait-il ce qu'a souffert mon triste cœur de femme
Où tant de rêves chers sont morts à peine éclos ?
N'aura-t-il jamais lu dans ma sombre paupière ?
Mon sourire a-t-il pu lui paraître joyeux ?
Si devant lui bientôt passe ma froide bière,
Ne sentira-t-il pas une larme à ses yeux ?
Il ne trouvait donc pas que ma voix était tendre ?
Il n'a donc pas compris à quel point je l'aimais ?
Ah! ce que j'aurais fait s'il avait pu m'entendre.
Le saura-t-il jamais !

Non! il ne saura pas mon amour et ma peine !
Au fond de mon sourire il n'a pas vu mes pleurs.
Si quelquefois sa main a tremblé dans la mienne,
C'était distraction : son âme était ailleurs !
Me voyant tous les jours riante et courageuse,
Sans lui parler jamais de mes propres tourments,
Il s'est dit dans son cœur : Oh! comme elle est heureuse !
Et je suis là toujours, cherchant à tous moments
Ce que je puis tenter pour lui qui m'abandonne ;
Pour lui le monde a su qu'à tout je me soumets :
Lui seul par qui je meurs, mais à qui je pardonne,
Ne le saura jamais !

XV

Je déshabituerai mon cœur et ma pensée
De cet ingrat amour dont j'ai l'âme lassée ;
C'est trop longtemps souffrir, c'est trop longtemps rêver,
Il est temps d'être fort et de se relever.

C'est bien assez tromper d'espérances menteuses
Cet idéal besoin d'impossible bonheur ;
C'est bien assez errer à ces clartés douteuses !
De cet ingrat amour désabusons mon cœur.

Seule, seule toujours! eh bien! pourquoi ces plaintes ?
La mort est à côté de ce chemin désert ;
La mort a bien aussi de suprêmes étreintes,
La mort est un abîme où la douleur se perd.

Ah! l'on enfermera pour jamais sous la tombe
Tant d'infinis élans de confiant amour !
Sans un mot de regret c'est ainsi que je tombe !
C'est ainsi que la nuit vient m'arracher au jour !

J'ai follement donné ma vie avec mon âme,
J'ai follement aimé qui ne m'aima jamais !
Et voilà qu'en retour d'une immortelle flamme,
En retour des trésors purs que je renfermais ;

En retour des secrets de tendresse ineffable,
Des dévoûments profonds d'un esprit éperdu,
Le dédain accablant, le dédain implacable
M'attendait sur ma route et, seul, m'a répondu.

C'est bien : le terme est près! que la tombe me couvre !
Meurs, ô mon âme en feu! meurs, ô cœur dédaigné !
Meurs, ô sombre regard! que nul pleur ne te rouvre !
Dompter ainsi son mal, c'est être résigné.

Je déshabituerai mon cœur et ma pensée
De cet ingrat amour dont j'ai l'âme lassée ;
C'est bien assez souffrir, c'est bien assez rêver :
Il est temps d'être fort et de se relever.

XVI

Plus de plaintes, plus de murmures !
Nions que nous ayons souffert,
Et cicatrisons nos blessures
Pour que rien n'en soit découvert.
Mais si la mort enfin arrive,
Embrassons-la, disons : Merci !
Enferme toute, enferme vive.
O tombe chère, enferme ici
Une âme en qui rien ne survive !

ÉPILOGUE.

Comme ses sœurs inconsolées,
Jobbie, Henrietta, Lucy,
Anges enfants, femmes voilées,
Comme Blanche, grande âme aussi,
Madeleine, ma plus aimante,
Longtemps a vécu parmi nous :
Sa voix était frêle et charmante,
Son regard était humble et doux.

Paris, 1850.

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