Rêves et Réalités
A M. A. de L.
LA COUPE D'OR.
Le breuvage est amer, il faut dorer le vase
Oui, dorons la coupe des larmes !
Buvons sans regarder au fond :
Pour le cœur au souci profond
Que l'amer breuvage ait des charmes !
Qu'il nous endorme pour le ciel !
Qu'il soit oubli, mais non souffrance ;
S'il ne contient pas l'espérance,
Qu'il ne contienne pas de fiel !
Sachons trouver au fond du vase,
Au lieu de lie au goût amer,
Une liqueur au parfum cher
Qui nous enivre et nous embrase.
Nous qui marchons las et courbés
Portant quelque sublime peine,
Que ce cordial nous soutienne
Debout où d'autres sont tombés.
A chacun, mon Dieu, laisse un rêve !
Dore toi-même de ta main
La coupe où boit le genre humain,
Ton grand contempteur depuis Ève !
Le doute, hélas ! en ta bonté,
Voilà le malheur de nôtre âge !...
Malgré l'anathème et l'outrage,
Donne au cœur la sérénité.
Fais que l'illusion chérie
Survive au regret trop cruel !
Comme une fille de ton ciel
Que, toujours, tendre elle sourie !
Tes prophètes, nobles guerriers,
Vont recueillant les injustices :
Ah! pour couvrir des cicatrices,
Donne à leurs fronts quelques lauriers !
Oui! la gloire aux fronts magnanimes !
L'auréole aux grands inspirés !
Cela dore leurs maux sacrés :
La couronne sied aux victimes.
Pour moi, qui vais seule ici-bas,
Inaperçue et loin du monde,
Lorsqu'en mon sein la fierté gronde,
Si j'ai des pleurs qu'on n'entend pas ;
Lorsque la pauvreté railleuse
M'étreint sous son joug redouté,
Ah! mon cœur n'est pas tourmenté
D'une ambition orgueilleuse !
Pourtant, j'implore ta pitié,
Mon Dieu ! sous le fardeau je plie !
Dore ma coupe trop remplie,
Du doux reflet de l'amitié.
Sans que jamais un sanglot sorte
De mon cœur trop souvent navré,
Avec elle je sourirai,
Avec elle je serai forte !
ENVOI
Ce bonheur qu'on demande à Dieu,
Cette amitié que j'ai rêvée,
Sur la terre je l'ai trouvée :
Mon cœur ne forme plus de vœu.
Ma vie a jamais est bénie !
Si je pouvais douter encor,
Je regarderais mon trésor,
Et ma crainte serait bannie.
Ma coupe d'or contient pour moi
Un gage d'amitié divine,
Un double feu qui m'illumine :
L'Inspiration et la Foi.
8 janvier 1854.