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La Femme

ÈVE ET MARIE


Comme tout rayonnait au paradis vermeil !
La lumière et la femme, à leur premier réveil,
Étalaient leur couronne ;
La lumière n'avait rien éclairé d'impur,
Et la femme candide, avec ses yeux d'azur,
N'avait trompé personne.
Mais elle fut fragile, et l'Éden fut perdu ;
Il est vrai que parfois son amour l'a rendu.
Le serpent fit briller ses écailles marbrées ;
Il parla, ses regards avaient des diamants,
Ève écouta : souvent les traîtres sont charmants,
Les serpents venimeux ont des robes dorées.

Tes filles, ô belle Ève, ont pris ta vanité,
Étincelle d'enfer, ta curiosité
Qui pétille et s'éveille ;
Toute porte fermée est celle du bonheur :
La femme écoute encor quelque serpent trompeur
Qui lui parle à l'oreille.

Elle a pris à la fois, être fragile et fin,
L'adresse du démon, le front du séraphin.
Jadis, crédule et simple, elle cueillit la pomme ;
Mais Satan lui montra les ruses de l'enfer :
L'homme conduit la femme avec un bras de fer,
Avec un fil léger la femme conduit l'homme.
Son inconstante humeur, thermomètre changeant,
Toujours monte et descend comme le vif-argent :
Un peu d'amour, de haine,
Font varier le temps. Qu'importe ? on suit sa loi,
Le fils d'Adam l'écoute, et le caprice est roi
Lorsque la femme est reine !

Parfois elle est volage, et rappelle, ô mon Dieu,
La pâquerette au front d'albâtre, au cœur de feu,
Coquette du vallon, qui, blanche et veloutée,
Répond si tendrement : « Je t'aime un peu, beaucoup. »
Et puis, l'instant d'après, ajoute : « Pas du tout. »
Avec son air candide et sa feuille argentée.

Mais la douce Marie entre ses sœurs brilla,
Et l'ange Gabriel dit : « Ave, Maria. »

Aux hommes exilés, Jésus, fils de Marie,
Au-dessus de l'étoile ouvrit une patrie.
Comme un dieu de splendeur, des soleils descendu,
Il remplaça l'Éden par les saintes phalanges,
Le paradis des fleurs par celui des archanges,
Et donna tout un ciel pour un jardin perdu.

Vraiment je vous le dis, les femmes,
Ces tendres cœurs, ces nobles âmes,

Sont filles de Marie, astre pur, lis en fleur.
Et vraiment, sur leur front modeste,
On voit flotter, chaste et céleste,

Ce voile de la Vierge, appelé la pudeur.

Sur les enfants Jésus toujours la femme veille,
Le berceau n'est-il pas la cassette vermeille
Qui contient le trésor qu'avare elle défend ?
Et l'on voit rayonner dans la nuit grave et douce
Les planètes de feu sur l'humble brin de mousse,
Et l'amour maternel sur le petit enfant.

Les grands hommes à l'œil de flamme
Lui doivent le corps avec l'âme ;

A la gloire de pourpre elle les fait marcher ;
Mais comme la Vierge, sa reine,
Au monde elle donne le chêne,

Et comme la racine elle aime à se cacher.

Elle fait épeler le bel enfant fragile
Dans le livre divin qu'on nomme l'Évangile,
Et, vestale chrétienne, en conserve le feu ;
Sur le chemin du ciel devance tous nos sages,
Prie et croit, et ressemble à l'étoile des mages,
Qui marchait en avant, et conduisait vers Dieu.

Toujours saintement téméraire,
Elle suit l'homme à son Calvaire,

Se glisse avec l'espoir dans le cachot profond ;
Toujours ses mains blanches et fines
Touchent les couronnes d'épines,

Et viennent doucement les soulever du front.

Tout fuit dans le malheur : plus d'un ami volage,
Pareil à l'arc-en-ciel, ne vient qu'après l'orage.
Quand siffle l'ouragan, le bel oiseau chanteur
Se tait, cherche un abri, vole à sa maison verte ;
Le soleil d'or se cache, et la route est déserte ;
Mais la femme se montre aux jours de la douleur.

Or la femme, être fantastique,
Fidèle, inconstante, angélique,

Tient de Marie et d'Ève, et du démon vainqueur :
Dans sa tête, où la ruse brille,
Tout le feu de l'enfer pétille,

Mais c'est le feu du ciel qui brûle dans son cœur.

Là Satan montre un coin de sa griffe rebelle,
Mais ici Gabriel montre un bout de son aile :
Quand la coquette essaie un sourire nouveau,
Un ruban frais, Satan lui conte ses chimères ;
Mais Gabriel salue encor les jeunes mères :
L'un est près du miroir, l'autre près du berceau.

L'étoile fixe et scintillante,
L'étoile mobile et filante,

La plume qui voltige à tous les vents des cieux,
Le colibri qu'un souffle entraîne,
Et la liane qui s'enchaîne,

Mon Dieu, voilà la femme, au front pur, aux doux yeux !

Mes sœurs, mes sœurs, marchez à l'ombre
De Marie, et guidez les cœurs.
La vie est une forêt sombre
Où se perdent les voyageurs;


Le doute est la route commune :
Dans la nuit jetez des clartés ;
Que la foi, comme un clair de lune,
Y luise en rayons argentés.


Les sentiers des vertus s'effacent,
Sentiers de lis, étroits, mais beaux ;
Dans ces ténèbres qui s'amassent,
O mes sœurs, tenez les flambeaux !


Votre tâche est sainte et profonde ;
L'ange déchu s'est relevé :
Une femme a perdu le monde,
Mais une femme l'a sauvé.

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